Vous avez sûrement déjà fait une crise de foie ou menti comme un arracheur de dents...
Savez-vous ce qui se cache derrière ces expressions colorées ?

 Se faire du mauvais sang

S’inquiéter, se faire du souci à propos de quelque chose.
Lorsque les humains se font du mauvais sang, c’est une mauvaise nouvelle pour les vampires...

Cette expression médiévale est pleine de bon sens et pas si loin que ça de la vérité scientifique.

Se faire du mauvais sang, c’est fabriquer du sang de mauvaise qualité à cause du souci qui nous perturbe. Sans pouvoir dire que le stress influe sur la composition de notre sang, il a en tout cas une influence désormais prouvée sur notre santé.
Nos ancêtres l’avaient déjà compris.

Se faire du mauvais sang” s’est aussi décliné au fil des années en diverses expressions approchantes :

  • se faire de la bile (la bile est sécrétée par le foie, on y revient !),
  • se faire un sang d’encre,
  • se tourner les sangs,
  • se ronger les sangs,
  • etc.

A noter que ces formules sont souvent utilisées dans leur forme négative : “Ne te fais pas de bile” par exemple, pour dire à quelqu’un de ne pas s’inquiéter.

Dans la littérature, l’expression apparaît pour la première fois dans le Dictionnaire de l’Académie française en 1718.
Elle est ensuite reprise en 1877 dans un ouvrage d’Eugène Sue.

 Avoir une crise de foie

Etre dans un état nauséeux, avoir des problèmes digestifs.
Quand les hommes font une crise de foie, les églises sont vides le dimanche...

Et non, votre foie n’y est absolument pour rien dans cette histoire, le pauvre !
Rien à voir non plus avec une crise de foi mystico-religieuse...

En général, la crise de foie désigne une indigestion, souvent liée à des excès alimentaires.
Elle est un must du temps des fêtes, par exemple.

Cette expression est propre aux pays latins”, explique Pascale Bernard, ingénieure de recherche au laboratoire d’analyse et traitement informatique de la langue française (Atilf).
On ne sait pas bien d’où vient cette erreur mais le magazine Le Point qualifiait cette expression, en 1978, d’ « invention médico-mondaine ». Peut-être une façon un peu plus noble de désigner ce dérèglement. Lors que les patients arrivent chez lui en se plaignant de faire une crise de foie, le médecin rectifie l’erreur.

Les maladies du foie ne provoquent généralement pas les mêmes symptômes et sont souvent plus graves qu’une simple indigestion.

Parmi les textes de la base de données de l’Atilf, le terme de crise de foie apparaît pour la première fois en 1863, dans le Journal des Goncourt.

 Avoir les jambes en coton

Se sentir faible, ne plus avoir de force dans les jambes.
Avoir les jambes en coton fait la joie des mites...

Pas difficile de comprendre que si l’on a les jambes en coton, on ne risque pas d’aller bien loin.

Vous avez déjà éprouvé cette sensation, en montant un escalier, que les forces de vos jambes étaient en train de vous quitter ?
Cette impression que des fourmis étaient en train de s’emparer petit à petit de vos membres inférieurs ?
Vous aviez alors les jambes en coton, les pattes en flanelle quoi ou encore les guiboles en pâté de foie ou en nougat.
Hé oui, cette forme de fatigue a donné lieu aux expressions les plus imagées.

Dans les pires des cas, les jambes en coton sont le signe d’un malaise qui peut évoluer en perte de connaissance. Mais, la plupart du temps, il s’agit tout simplement d’un état de fatigue passagère ou d’un effort trop important entraînant une baisse d’énergie.
Il suffit alors de s’asseoir pour retrouver bien vite ses jambes en chair et en os.

L’expression apparaît pour la première fois en 1839 dans un célèbre roman de Stendhal, « La chartreuse de Parme ».

 Avoir mal aux cheveux

Vivre un lendemain de fête de façon assez désagréable... nausées, fatigue et surtout mal de tête carabiné.
C’est Pinnochio qui en avait une quotidiennement de gueule de bois !

Avoir mal aux cheveux, c’est un moyen édulcoré de dire qu’on ressent douloureusement les effets de l’alcool absorbé en trop grande quantité la veille.

Pas difficile de comprendre d’où vient l’expression : les cheveux sont implantés sur le crâne et c’est bien lui qui nous fait souffrir au petit matin, quand les vapeurs de l’alcool se sont suffisamment dissipées pour que la douleur survienne.

Quelques variantes tout aussi colorées existent :

  • avoir une angine de comptoir,
  • avoir un rhume de comptoir,
  • avoir la gueule de bois (sensation de bouche sèche et pâteuse quel’on peut ressentir après une soirée trop arrosée),
  • avoir la tête dans le cul (ici on sous-entend que l’on est à l’envers)
  • etc.

Première mention de cette expression dans la base de données de l’Atilf, en 1863, dans le Journal des Goncourt.

 Avoir un chat dans la gorge

Etre enroué, avoir la voix éraillée et la gorge qui gratte.
C’est le comble pour une souris !

Deux écoles s’affrontent pour interpréter cette expression.

La première, celle de l’Atilf, tombe un peu sous le sens : “Lorsqu’on a mal à la gorge, la voix éraillée fait un peu penser au miaulement d’un chat.”, explique Pascale Bernard, “En outre, la gêne ressentie avec ce mal de gorge peut être assimilée à la sensation de quelque chose qui s’est bloqué à l’intérieur.

La seconde explication est celle de Pierre Guiraud, parue dans les « Locutions françaises » en 1961. Jadis, maton désignait les grumeaux du lait caillé et donc, par extension, tout amas de poils, de laine ou même de fibre de papier, susceptible de faire obstruction.
Or lorsqu’on a mal à la gorge, cette dernière est souvent encombrée, d’où l’idée de maton, qui n’est séparé de matou que par une petite lettre. Jeu de mots ou confusion, le maton serait donc devenu matou, soit chat...

L’Atilf relève une expression similaire dans sa base de données dès 1808. Le Dictionnaire du langage disait alors : “Avoir un chat dans le gosier : qui avale sa salive et fait des efforts pour cracher.

 Avoir l’estomac dans les talons

On a l’estomac dans les talons lorsque l’on est très affamé.
3 kilomètres à pied, ça use, ça use...

Là encore, pas très difficile de comprendre qu’il ne s’agit pas d’avoir l’estomac dans les talons au sens propre du terme.
Ou alors, il est vraiment grand temps de s’inquiéter !

Mais lorsque l’on a très faim, on a l’impression que l’estomac « descend » en quelque sorte, alors que quand on a trop mangé, on a plutôt l’impression qu’il remonte pour venir comprimer le reste de l’abdomen.”, souligne Pascale Bernard, “Dire que l’on a l’estomac dans les talons permet donc d’exprimer à quel point l’on a faim.

Une petite variante : “Avoir l’estomac en bas des talons”, ou encore “Crever la dalle

L’expression apparaît pour la première fois dans le Littré en 1864.
Puis sous la plume d’Emile Zola, en 1876, dans « Son Excellence Eugène Rougon ».

 Etre dur de la feuille

Avoir des problèmes d’audition.
Tu as du persil dans les oreilles ?

En argot, les oreilles sont couramment, et depuis très longtemps, surnommées les feuilles de chou.
De même, depuis le XVIe siècle ouïr dur est synonyme de mal entendre.
De là à associer les deux pour en faire une expression imagée, il n’y avait qu’un pas que d’aucuns ont largement franchi.

A noter qu’être dur de la feuille se décline en une locution toute aussi imagée et charmante : “Avoir les portugaises ensablées”.

C’est chez le célèbre poète Jacques Prévert que l’on retrouve pour la première fois cette expression telle quelle, en 1946.

 C’est l’hôpital qui se fout de la charité

Se moquer de quelqu’un alors que l’on se trouve dans une situation similaire, voire pire.
C’est comme le Dr House aux consultations...

Cette expression vient tout droit de Lyon (l’expression est donnée comme lyonnaise par Nizier du Puitspelu, « Le Littré de la Grand’ Côte », 1894, page 184) où deux établissements médicaux se faisaient « concurrence ».
L’hôpital donc, et la charité, qui abritait surtout des indigents.
C’est un misérable qui se moque de la misère d’autrui... l’hôpital ne vivant alors que des subsides de la charité.

L’on rétorque habituellement par cette expression lorsque l’on critique alors que l’on aurait pu émettre ce même reproche à sa propre encontre !
C’est ainsi que l’on peut l’ employer aussi pour un sot qui se moque d’un autre sot, pour un avare qui critique un autre avare, etc.
Bref, se dit lorsque quelqu’un est mal placé pour émettre un avis !

Ici, la locution existe en plusieurs versions.
Parfois, l’hôpital se moque de l’infirmerie ou se paie la tête de l’hospice.

Elle existait d’ailleurs dès 1386 mais sous une forme encore différente.
On pouvait alors dire “C’est la pelle qui se moque du fourgon” ou encore “Le poêle qui se moque du chaudron”.

 Mentir comme un arracheur de dents

Mentir de façon éhontée et très souvent.
La vérité si je mens !

Avant que les dentistes n’aient de vrais cabinets médicaux avec pignon sur rue, il était courant que les malades qui avaient des dents gâtées se les fassent retirer par l’arracheur de dent, sur la place du village, les jours de foire.

Souvenons-nous qu’à l’époque, le tout se déroulait sans anesthésie...
Il était donc courant que l’arracheur de dents ait recours à quelques mensonges (“Mais non, vous ne sentirez presque rien je vous dis, ayez confiance...”), histoire que le client ne s’enfuie pas en courant.

Les arracheurs de dents ont donc développé un art du mensonge encore réputé aujourd’hui !

L’expression apparaît très tôt dans les dictionnaires, dès 1585 dans la base de données de l’Atilf.

 Avoir un oeil au beurre noir

Avoir l’oeil cerclé d’une ecchymose après qu’il a reçu un coup.
Tu t’es pris une porte ?

Cette expression trouve son explication dans... la cuisine !

Hé oui, on avait coutume d’appeler « beurre noir » la couleur du beurre qui cuisait lorsque l’on faisait des œufs au plat, rendant ainsi le blanc des œufs un peu coloré sur les bords.

L’oeil est donc dans cette image assimilé àl’œuf, dont le pourtour est noirci, c’est l’ecchymose.
Logique.

Autre variante culinaire, un oeil au beurre noir peut également être appelé un oeil poché.

P.-S.

Source : L’Atilf est le laboratoire d’analyse et de traitement de la langue française, basé à Nancy, il fait partie du Centre national de la recherche scientifique.