A l’approche de l’hiver, bon nombre de mammifères se réfugient dans leur terrier.
Certains hibernent alors que d’autres hivernent...
Quelle est la différence ?

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 Un degré de vigilance différent

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Le premier critère qui différencie vraiment l’hibernation de l’hivernation est la vigilance.
La marmotte qui hiberne [1] entre, pendant plusieurs mois, en véritable état de léthargie. Certaines zones de son cerveau responsables d’actions vitales spontanées telles que la respiration sont encore en activité mais toutes les autres zones corticales sont inactives.
Elle est littéralement endormie mais répond tout de même à certains stimuli comme le toucher, le bruit sans pour autant sortir de son état.

Ce n’est pas le cas des hivernants [2] comme l’ours qui lui est dans un état de somnolence plutôt que de sommeil profond. Son cerveau est très actif et réactif.
Pendant ces périodes de vie au ralenti, il présente de nombreuses phases de réveil où il peut se déplacer, s’alimenter. Les femelles ours donnent d’ailleurs naissance à leurs petits pendant cette période, les allaitent, les lavent...

 Une température en baisse

Les hibernants, et hivernants, aménagent ensuite leur terrier que l’on nomme une hibernaculum. L’hibernaculum est choisi pour éviter des variations thermiques importantes. Les animaux se mettent dans une position qui garde le maximum de chaleur, généralement en boule.

Lors de cette période, les organismes vont voir leur température baisser, histoire d’économiser un maximum d’énergie.

En effet, maintenir une température corporelle stable quelle que soit celle extérieure demande une dépense énergétique colossale pour les homéothermes (les mammifères maintiennent leur température interne à 37°C quelles que soient les conditions extérieures).
Vous pouvez le constater vous-même ; en plein hiver, vous mangez beaucoup plus et surtout plus calorique pour répondre à ces besoins thermorégulateurs.

Les animaux qui hibernent réalisent quelques semaines auparavant une vraie cure de grossissement pour avoir suffisamment de réserve graisseuse où ils puiseront l’énergie nécessaire.
Par exemple, l’écureuil américain passe de 150 grammes à 350 grammes (les réserves sont essentiellement des réserves lipidiques stockées sous la peau.).

Les hibernants vont avoir une température en chute libre, de l’ordre de 1°C à 2°C (la thermorégulation ne s’arrête pas et la thermogenèse se remet en route pour maintenir la température intérieure de l’animal à une température acceptable. L’hibernation n’est pas un état passif !), mais elle ne va jamais passer au-dessous de 0°C, sinon c’est la mort assurée.
Chez les hivernants, la température certes baisse mais reste suffisamment élevée pour que l’animal réagisse face à un danger.

 Un métabolisme au ralenti

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Toujours dans un souci d’économiser un maximum d’énergie pendant leur hibernation, les animaux vont avoir leurs activités physiologiques « tourner » au ralenti.
Le métabolisme accuse ainsi une perte de 98% pendant cette phase :

  • Le rythme cardiaque va sérieusement baisser.
    Par exemple, le cœur de l’écureuil américain va effectuer 3 battements par minute au lieu de 350 en temps normal.
  • Le flux sanguin va aussi diminuer et va se concentrer dans les organes vitaux comme le cerveau et le cœur.
  • La respiration et donc la consommation d’oxygène sont aussi en perdition.
    De nombreuses phases d’apnée sont observées chez les hibernants.

Les animaux qui hivernent ont également un métabolisme de faible activité mais pas au point des hibernants.
Pendant leur période de somnolence hivernale, ils peuvent manger, uriner, donner naissance aux petits pour les femelles...
Ils sont beaucoup plus actifs que ceux qui hibernent.

 L’hibernation au niveau chimique et cellulaire des homéothermes

Les processus cellulaires sont stoppés ou tout au moins fortement ralentis de plusieurs manières :

  • Phosphorylation de certains composants
    Des groupes phosphoryles se fixent sur les pompes à sodium et sur les pompes à potassium, empêchant ainsi les échanges de ces ions entre les compartiments intracellulaires et extracellulaires. De plus, des groupements phosphoryles s’attachent aux ribosomes, ce qui bloque la synthèse protéique.
  • Source d’énergie cellulaire pendant l’hibernation
    Alors que l’énergie cellulaire est en temps normal principalement tirée de l’oxydation de molécules de glucose, ce sont les lipides qui deviennent la source d’énergie prioritaire pendant l’hibernation.
  • Ralentissement de la transcription de l’ADN
    Une acétylase favorise la transition des histones de leur état acétylé vers l’état désacétylé. Ceci provoque une condensation accrue de l’ADN, qui s’enroule alors plus étroitement autour des histones, et rend les gènes beaucoup moins accessibles.
    En outre, les ARN polymérases ne sont plus actives, ce qui réduit encore les possibilités de transcription.
  • Origine cellulaire de la diminution de température corporelle
    Dans les tissus adipeux bruns, la membrane interne des mitochondries possède des protéines découplantes qui laissent passer facilement les protons, permettant ainsi de diminuer le gradient de concentration entre les deux compartiments situés de part et d’autre de cette membrane. Une moins grande quantité d’ATP est ainsi produite par l’ATPase. Le flux de protons alimente donc principalement l’élévation de la température par les protéines découplantes. Lors de l’hibernation, l’activité de ces protéines découplantes est diminuée.
  • Les adaptations membranaires lors de l’hibernation
    La membrane des cellules animales est formée d’une bicouche lipidique fluide à température normale. Le froid quand la température approche de 0 °C entraîne une disparition de la fluidité de la membrane sauf chez les hibernants car les lipides de leurs membranes ont des acides gras insaturés en concentration supérieure à celle des non-hibernants. De plus ces derniers possèdent des protéines « chaperon » protégeant les lipides d’une modification de leur phase (les acides gras gardent leur fluidité dans la membrane).
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Certains facteurs internes ont été mis en évidence principalement chez le spermophile :

  • En injectant du sang d’un spermophile hibernant dans un spermophile non hibernant, on constate que le spermophile non hibernant devient hibernant.
    Les facteurs internes d’hibernation circulent donc dans le sang (ces facteurs sont encore mal connus).
    Selon des études récentes, l’aire pré-optique de l’hypothalamus permet la baisse du point de consigne de l’organisme jusqu’à 2 °C chez certaines espèces.
  • Le système reproducteur serait également impliqué dans l’inhibition de l’hibernation.
    Expérimentalement, l’injection de testostérone provoque la fin de l’hibernation.
  • Au niveau du foie sont produites des protéines formant un complexe : HPc (complexe des protéines d’hibernation).
    Ce complexe est composé des protéines HP20, HP22, HP27 et HP55.
    Une diminution du taux sanguin de ces HPc précède l’hibernation.
    Le cycle est inversé au niveau du liquide céphalo-rachidien (LCR) : en effet, le maximum du taux de HPc y est atteint pendant l’hibernation.
    Notons également que la protéine HP50 n’est jamais présente dans le liquide céphalo-rachidien, mais celui-ci contient la HP20. Cette protéine passerait du sang vers le LCR au niveau du plexus choroïde, la région du cerveau où ce liquide est produit.

 Caractéristiques physiques des hibernants

Les hibernants sont généralement des animaux de taille moyenne.

S’ils sont trop petits, ils possèdent un métabolisme très élevé qui empêche des longues périodes d’hibernation, car même avec un rythme cardiaque plus faible, les réserves seraient insuffisantes.

S’ils sont de grande taille, le métabolisme est relativement bas, donc la remontée de température demanderait plusieurs jours, ce qui est difficilement envisageable après une période d’hibernation.
Les scientifiques pensent que pour que l’hibernation soit un gain pour la survie de l’animal, il ne doit pas dépasser 7 kg. Au-delà, l’énergie nécessaire lors des périodes de réveil serait trop conséquente.

Pour les hibernants, l’hibernation est toujours rentable du point de vue énergétique et correspond à une économie d’énergie.

Par exemple, pour une souris américaine Perognathus, si elle rentre en hibernation pour 100 heures, elle consomme 7.7 ml d’oxygène par gramme de son poids, alors que pour une même période en empêchant l’entrée en hibernation, elle consomme 40 ml d’oxygène par gramme pendant 100 heures pour se maintenir à 37 °C.

 Sortie de l’hibernation

La sortie de l’hibernation se caractérise par un réchauffement rapide des différentes parties du corps, de la fréquence cardiaque, etc.

Ces mécanismes sont plus rapides que ceux de l’entrée en hibernation.
Tout est rétabli en quelques heures.

P.-S.

  • Photo de l’ours blanc : Anthony Cabanne
  • Photo de la marmotte : Jacques Estal
  • Myoglobine : Représentation schématique.
    Cette protéine homologue de l’hémoglobine se lie au dioxygène au niveau des muscles. Elle est la première dont la structure est résolue par cristallographie et diffraction des rayons X par Max Perutz et John Kendrew.

Notes

[1] Les animaux considérés comme hibernants sont : les marmottes, les loirs, les lérots, les spermophiles, les hérissons, le tenrec, le setifer, l’engoulevent de Nuttall, les grenouilles, les lézards, ainsi que certains hamsters, souris, poissons et chauve-souris.

[2] Les animaux hivernants, ou semi-hibernants sont entre autres : les ours, les blaireaux, les ratons laveurs et les opossums.