Conversation unilatérale avec soi-même.
Effet miroir.
Parfois on aimerait que l’autre fasse le premier pas, qu’il engage la discussion, qu’il nous dise ce qui ne va pas.

On projette alors sur notre partenaire tout ce qu’on aimerait lui dire, lui faire comprendre, et on imagine alors ce qu’il nous dirait, ce qu’on aimerait tant lui dire...

Je voulais appeler à la maison pour te laisser un message sur le nouveau téléphone, mais tu m’as appelé juste à ce moment-là ce matin, et ça m’a coupée dans mon élan.

Après notre conversation téléphonique, je me suis dit qu’effectivement je n’aurais rien à te dire sur ce message.
Juste peut-être un petit mot doux, mais je ne suis même pas sûre que tu l’aurais apprécié...
Je doute de tout...

Je te demande pardon si je ne suis pas à la hauteur de tes espérances depuis quelques temps. Je suis déprimée, je suis frustrée, une cocotte-minute prête à exploser, j’ai les nerfs à fleur de peau, je me mets à pleurer sans savoir pourquoi, je suis blasée, j’en ai marre de tout : oui, c’est vrai, je ne suis pas marrante en ce moment...
C’est un peu l’effet miroir aussi...
Cela fait plusieurs mois maintenant que j’ai l’impression que tu n’es pas heureux, et que je ne peux rien faire pour te rendre heureux, et que cela ne s’arrange pas avec le temps, et du coup je suis en train de perdre les pédales.
J’ai beaucoup de mal à faire semblant d’être heureuse pour deux.

Voici une liste exhaustive des reproches que j’ai envie de te faire aujourd’hui :

  • De plusieurs emails par jour, on passe à un de temps en temps, que tu n’as même plus envie de lire (je dis « plus envie » et non pas « plus le temps », car si tu avais envie de les lire, je crois que tu prendrais le temps).
  • D’une attention de tous les instants, on passe à une léthargie distante et indifférente.
  • Tu ne m’écoutes plus, tu n’entends même plus ce que je dis quand je te parle, tu me reproches de trop parler, de parler pour ne rien dire, de te déranger quand tu es sur ton ordinateur, ou quand tu écoutes les infos, ou bien quand tu as envie de silence.
  • Tu prends de moins en moins d’initiatives au niveau de notre couple. Tu ne me prépares plus de petits repas.
  • Tu me promets des massages que j’attends toujours.
  • Tu ne me désires plus, tu ne me regardes plus avec des yeux amoureux, tu ne me fais même plus l’amour.
  • Tu ne m’as toujours pas parlé de ton passé affectif.
  • Tu ne veux pas entendre parler du mien.
  • Cela t’ennuie de prendre un peu de temps pour parler de nos vacances, ou d’un appartement.
  • Tu ne me parles plus.
  • Tu n’as plus aucune patience avec moi.
  • Tu veux que je pense comme toi et tu n’aimes pas comme je pense.
  • Tu me prends de haut : je ne suis jamais à la hauteur, je ne dis jamais ce qu’il faut et je ne fais jamais ce qu’il faut.
  • Tu as toujours quelque chose à redire à mes propositions.
  • Tu crois que tout le monde est comme toi et tu n’acceptes pas que les gens soient différents.
  • Tu ne me fais pas ou plus confiance.
  • Tu es négatif et tu ne vois jamais le bon côté des choses, ni des gens.
  • Tu ne montres jamais d’enthousiasme lorsqu’on sort, après une soirée entre amis, ou lorsque je te fais une surprise.

J’imagine que tu as autant de reproches à me faire, et qui sont tout aussi fondés. Tu peux rajouter l’agressivité sur ta liste, je sais que j’en ai à revendre en ce moment...

En bref, nous n’avons plus d’espace de dialogue, la communication est réduite au strict minimum, on ne rit plus, on ne joue plus, les émotions en sont réduites au strict minimum aussi.

Je ne comprends pas quelle est cette routine bizarre qui s’est installée si vite entre nous. Je ne comprends pas comment notre relation en est arrivée là.
Cela me met de plus en plus mal à l’aise.
Parfois je n’ai plus l’impression de vivre avec l’homme que j’aime : j’ai l’impression de vivre avec un colocataire. Des baisers volés, des gestes tendres, des sourires polis...

Est-ce que je suis trop exigeante ?
Est-ce que je suis dépressive ?
Bornée ?
Est-ce que je suis normale ?
Est-ce que je suis trop égoïste ?
Est-ce que je ne suis pas assez patiente ?
Est-ce qu’inconsciemment je fais tout pour que ça ne marche pas ?
Est-ce que j’ai un problème hormonal ?
Est-ce que je prends trop d’initiative ?
Est-ce que je ne te laisse pas assez de place pour t’exprimer ?
Est-ce que j’ai pris le rôle de la bonne copine ?
Le rôle de la mère ?
Où est passé mon rôle d’amante ?
Est-ce que j’entretiens volontairement mes frustrations ?
Est-ce que je te reproche mes propres imperfections ?

Je ne sais pas...

Est-ce que nous sommes tous les deux trop égoïstes ? Trop égocentriques ?
Deux êtres qui disent aimer alors que leur seule préoccupation est d’être aimés ?
Deux êtres qui disent s’aimer mais qui sont incapables de montrer, ou qui ne veulent pas montrer, à l’autre combien il est important à leurs yeux.
Deux êtres qui se refusent à surmonter leurs peurs et à se donner l’un à l’autre.
Deux êtres qui souffrent profondément et qui sont incapables de reconnaître et de prendre au sérieux la douleur de l’autre, qui leur est pourtant si familière...
Deux êtres qui se noient dans leurs soucis et qui en oublient de sortir la tête hors de l’eau pour secourir l’autre, lui sourire, lui insuffler un peu de courage, lui dire que la vie n’est pas si moche qu’elle en a l’air, qu’à chaque problème il y a une solution, qu’à deux on est plus fort.

Mais est-ce qu’on est vraiment plus fort ?
Ou est-ce qu’on est plus faible, plus vulnérable ; qu’à deux le processus d’autodestruction trouve matière à se nourrir et s’accélère ?

Je voudrais savoir ce que tu penses, je voudrais que tu me parles, que tu me dises ce que tu ressens, ce que tu vis.
Je voudrais partager cela avec toi.
Je voudrais sentir ce qu’est la vie à deux. Je voudrais que tu me demandes comment s’est passée ma journée. Je voudrais que tu prennes le temps de m’écouter quand j’ai envie de te parler.
Je voudrais que tu me dises ce que tu me reproches, ce que tu n’aimes pas chez moi, qu’on fasse des compromis, qu’on établisse des règles, qu’on joue aussi, qu’on prenne du temps pour notre couple.

Je ne sais plus quoi faire.
J’ai l’impression de faire partie des meubles, d’être quelque chose d’acquis, d’être la seule à essayer de faire vivre notre couple, de faire vivre nos projets, d’y passer tout mon temps et de ne plus avoir de temps pour moi...
Je rêve d’un soir où je pourrais rentrer, me poser devant la télé, et ne rien faire...
J’ai envie de baisser les bras.

Voilà où j’en suis.

Je suis parano...

Tout ce que je sais, ce dont je suis sûre, c’est que je ne veux pas que tu penses à moi et que tu joues au jeu d’être heureux : je veux juste que tu m’aimes, et qu’on s’aime !

Pourquoi les choses ne sont-elles pas simples, alors que chacun souhaite la même chose...
Juste du bonheur !

P.-S.

  • Image de l’entête : « Femme paranoïaque-cheval », Salvador Dali, 1930.